Boncourt, terre d’accueil

Les enfants sont conduits du poste-frontière de Déridez au centre du village de Boncourt. Un soldat helvétique, symbole de la prise en charge de l’opération de secours par l’armée suisse, ouvre la marche. © Société suisse des traditions populaires
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BONCOURT Le sociologue Philippe Turrel, auteur de plusieurs livres sur la famille Burrus, a récemment publié l’ouvrage Boncourt, un dilemme suisse aux éditions Slatkine. Celui qui vit entre Lausanne et la France y aborde l’engagement de plusieurs familles du village qui ont facilité le passage de réfugiés en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi les contradictions dans la politique helvétique entre 1942 et 1944. 

Comment est venue l’idée de ce livre?
Philippe Turrel: J’ai réalisé des recherches sur Boncourt dans le cadre de mes ouvrages sur la saga des Burrus, mais également au cours de mon projet de créations d’itinéraires de découverte du patrimoine de la commune. J’ai découvert, notamment chez certaines familles, des documents inédits. Au vu de leur qualité, j’ai décidé d’écrire un livre, que j’ai proposé à la Fondation Novandi, qui œuvre dans le but de favoriser des projets destinés à la jeunesse. Ce qui l’intéressait, c’était la question des choix: en temps de guerre, des dilemmes de conscience se posaient face à des situations liées aux valeurs importantes suisses, comme l’hospitalité et le rapport à autrui. Le livre illustre à travers des exemples l’histoire de ces familles qui ont vécu ces dilemmes pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment à l’égard des réfugiés juifs. 

Quel a été le point de départ de vos recherches?
Je suis parti de la famille de Boncourt Jurot, qui possédait des archives pour la plupart inconnues, qui n’avaient jamais été publiées. Ces documents relataient l’accueil d’une famille des Pays-Bas, notamment d’une jeune fille, Betty Duveen, une des protagonistes de mon ouvrage. Elle et une amie ont fui Amsterdam en 1942 et ont tenté d’arriver en Suisse en passant par le Jura, et sont arrivées à Boncourt. J’ai retrouvé sa photo et son nom dans ces archives familiales, mais également un élément extrêmement important: le fait qu’elle ait planté un arbre à Jérusalem pour remercier ses bienfaiteurs.

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Par la suite, vous avez auditionné d’autres familles, dont les Quain et les Burrus…Effectivement. Les Quain, qui tenaient une épicerie à la frontière, ont travaillé pour le Service du renseignement suisse comme espions. Ils possédaient un rôle important, en accueillant des réfugiés et en les faisant passer à Berne. Quant aux Burrus, que je connaissais déjà de par mes précédents ouvrages, ils se sont aussi montrés très généreux. Un peu plus tard, à partir de septembre 1944 et pendant six mois, ils ont accueilli chez eux en transit quelque 13 500 enfants français réfugiés de guerre de Belfort dans le cadre d’une opération humanitaire menée avec la Croix rouge. Ils les ont réceptionnés, leur ont donné de quoi manger et ont fait le lien avec les familles dispersées dans toute la Suisse qui allaient les héberger.  

Votre ouvrage est organisé en deux parties pour  souligner des périodes distinctes. Quelle a été la première?
La mise en œuvre de la solution finale par les nazis a débuté en 1942. Dès lors, les Juifs ont été confrontés à une situation intenable, à un choix vital: se cacher ou fuir dans les pays neutres. Beaucoup ont tenté de se réfugier en Suisse, mais pour leur plus grand malheur, le pays a adopté des mesures restrictives pour les réfugiés, qui n’ont plus eu la possibilité d’entrer sur le territoire helvétique sans visa, alors qu’il était impossible de s’en procurer un. Les réfugiés juifs, notamment de Belgique et de Hollande, ont fait face à un contexte difficile: le refoulement. Soit ils ont directement été remis aux Allemands, soit ils devaient repasser la frontière d’où ils étaient venus, souvent la nuit, avec des enfants. Les familles de Boncourt, face à ces refoulements, ont été saisies d’un dilemme. Certaines, comme les Jurot, ont accueilli ces réfugiés de manière clandestine et sont ainsi devenus hors la loi, risquant la prison. Certains n’ont pas hésité à faire parler leur conscience. Ces familles ont déployé une aide spontanée, fraternelle. Elles sont les gardiennes des valeurs de la tradition d’asile.  

Puis, un «basculement» intervient en automne 1942. De quoi s’agit-il ?
La Suisse, prise sans doute de remords, a ouvert à cette période ses frontières d’une manière considérable lors de l’opération d’accueil des enfants français réfugiés de guerre à laquelle a pris part la famille Burrus. Le visa était toujours demandé, mais la politique s’était tellement assouplie qu’il est devenu moins important. Le pays a ouvert ses bras à 13 500 Français durant six mois, plus de la moitié de la totalité des Juifs accueillis en Suisse en six ans de guerre – 22 000. Ces chiffres montrent la cassure. 

Propos recueillis par Kathleen Brosy 

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