SAINT-URSANNE Le 20 décembre prochain, cela fera 1400 ans qu’Ursanne, le moine qui donna son nom à notre si belle cité des bords du Doubs, est décédé. À six mois du coup d’envoi des festivités qui jalonneront toute cette année anniversaire, intéressons-nous à cet homme. Qui était-il, que faisait-il et pourquoi? Voici ce que l’on sait.
La pluie de ces derniers jours aura été bénéfique. La nature a retrouvé son éclat et s’expose, verdoyante, sous le radieux soleil de juin qui baigne le Clos du Doubs. Dans le fond de la vallée, Saint-Ursanne sort doucement de sa torpeur, à peine dérangée par les clapotis de la rivière se faufilant sous les arcades du pont Saint-Jean. Sur les rochers surplombant la petite cité médiévale et son imposante collégiale, un homme gît. Couché tout en haut des quelque 190 marches qui le relient au monde des vivants, Ursanne veille.

L’Irlande et la christianisation
Pour retrouver les origines d’Ursanne, il faut remonter au 6e siècle et traverser la Manche. «Nous nous situons après les invasions barbares qui signeront la fin de l’Empire romain en 476, situe Philippe Charmillot, diacre et responsable de l’unité pastorale Saint Gilles-Clos du Doubs. Durant les conflits, les chrétiens sont persécutés et les édifices religieux détruits. Mais l’Irlande – qui avait été christianisée par un certain saint Patrick vers 430 – est épargnée et le christianisme continue de fleurir sur l’île. Ce sont eux, les Irlandais, qui ramèneront cette religion en Europe, d’abord en Grande-Bretagne, puis en France, en Suisse et en Italie via la Bretagne.»
C’est ainsi qu’un jour de l’an 570 environ, un groupe de missionnaires mené par un abbé du nom de Colomban quitte la verte Érin pour le vieux continent. «Dans l’Église catholique, on a l’habitude depuis toujours de rédiger ce qu’on appelle des vies, des biographies de saints. Celle de Colomban a été écrite quelques années après sa mort, on peut donc dire qu’elle est fiable, se réjouit Philippe Charmillot. En se basant sur ce texte, on peut alors affirmer qu’après son départ d’Irlande avec quelques confrères, la troupe s’est rendue à Luxeuil, dans les Vosges, où elle a créé un monastère qui prendra par la suite une envergure européenne. Mais le roi de Bourgogne, dont le train de vie était décrié par les religieux, décide un beau jour d’en chasser le responsable, rejetant sur la route Colomban accompagné de plusieurs moines, dont Gall et Ursanne qui donneront tous deux leur nom à une ville.»
Loin des contraintes du groupe
Alors que la petite équipe s’apprête à traverser le plateau suisse, l’un des membres décide de quitter le groupe pour vivre une vie spirituelle basée sur la solitude et le recueillement. «D’autres partiront également dans une vie érémitique. Ça se faisait assez couramment à cette époque – et ça se fait encore aujourd’hui d’ailleurs! Les ermites ne sont pas des illuminés, tient à préciser Philippe Charmillot, mais des gens qui souhaitent privilégier leur relation avec Dieu, un peu comme les amoureux qui choisissent de quitter leurs parents pour partager un maximum de temps ensemble», image-t-il.
Ursanne part donc et s’enfonce dans les solitudes du Jura. Aux abords d’une rivière, il déniche une grotte à flanc de montagne et y prend ses quartiers. Petit à petit, interpellés par son rayonnement et «ce qu’on appelle sa sainteté, c’est–à-dire le lien étroit qu’il y a entre son attitude, ses gestes, ses paroles et l’Évangile», des gens viennent s’installer dans son voisinage. L’ermite décédera le 20 décembre 620 sur les hauts de ce qui deviendra un monastère, puis une petite ville médiévale du nom de Saint-Ursanne.
Ce dont on est sûr…
Voilà pour l’histoire. Mais cette date du 20 décembre 620, à l’origine des festivités du 1400e prévues dès la fin de l’année, est-elle vraiment fiable? «On ne peut pas mettre sa main au feu, admet Philippe Charmillot, car on n’a pas de stèle ou de texte la confirmant; elle est arrivée jusqu’à nous par la tradition orale. Ces gens qui ont rejoint l’ermite dans la montagne, étaient-ils deux, dix ou cent? On ne le sait pas. Mais incontestablement, des personnes ont été touchées par Ursanne, car s’il était mort seul dans sa grotte, il n’y aurait pas eu de monastère et l’histoire se serait arrêtée là.»
Par recoupement, on arrive toutefois à tirer certaines conclusions: «Ce dont on est sûr, c’est qu’un ermite a été enterré chez nous au début du 7e siècle; mais rien ne nous autorise à faire de lui un moine de Luxeuil ou un disciple de Colomban. Ensuite, selon la vie d’un autre saint, Wandrille, on sait qu’il organisa un couvent vers l’an 635 à l’endroit où Ursanne est décédé. On peut aussi affirmer qu’une chapelle dédiée à saint Ursanne a été érigée dans les environs de Delémont vers l’an 660 et que donc Ursanne était déjà vénéré comme un saint à peine 40 ans après sa mort. Mais pour trouver la première trace incontestable de l’existence d’un monastère dans le Clos du Doubs, il faut attendre encore près de deux siècles. L’abbaye de Saint-Ursanne figure dans une liste des possessions de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, établie vers 820.»
Une part de légende
Et son nom, d’où vient-il? «Ursanne, en latin, se dit Ursicinus. Ce n’est pas très irlandais, n’est-ce pas? En fait, le moine aurait été rebaptisé plus tard de ce mot qui signifie ʺpetit oursʺ ou ʺoursonʺ. Une légende raconte qu’un jour, un ours a attaqué l’âne qui accompagnait l’ermite. Pour l’aider dans ses tâches quotidiennes, pour ramasser le bois, porter l’eau, Ursanne aurait alors exigé du plantigrade qu’il remplace l’équidé. C’est pour cela que le saint est souvent représenté en compagnie d’un ours (l’animal est aussi l’élément principal du blason de la ville, ndlr). Mais Ursanne s’appelle-t-il ainsi parce qu’il vivait vraiment avec un ours, ou simplement parce qu’il avait un caractère bourru?», interroge Philippe Charmillot.
Des légendes, il en existe bien d’autres, mettant en scène par exemple un riche cavalier devenu aveugle pour avoir raillé des pèlerins revenant de la ville, et ayant immédiatement recouvert la vue après avoir promis de réaliser un buste à l’image du saint; ou impliquant le seigneur du château d’Outremont qui, pour avoir tenté de dérouter l’ermite en lui proposant vin et nourriture à profusion, vit sa forteresse disparaître, touchée par une malédiction… Tout cela fait partie de la tradition, mais ce dont on est absolument sûr aujourd’hui, c’est que Saint-Ursanne existe et qu’on n’a pas fini d’en parler, vu l’importance des festivités annoncées pour ce 1400e anniversaire!
Un reportage réalisé par Elise Choulat, publié le 19 juin 2019, N°502

URSANNE, FROMONT ET IMIER: DES COMPÈRES, VRAIMENT?
Parmi les nombreux récits mettant en scène l’ermite du Clos du Doubs, le plus connu est sans aucun doute celui qui réunit Imier, Fromont et Ursanne. L’histoire dit que les trois moines se seraient rencontrés aux Rangiers et auraient lancé en l’air leurs bâtons de pèlerins pour voir quelle direction chacun devait prendre, laissant à Dieu le choix de l’endroit où ils iraient s’installer. Ainsi seraient nées les bourgades de Saint-Imier, Bonfol et Saint-Ursanne. «On sait qu’Imier était à peu près contemporain d’Ursanne, analyse le diacre responsable de l’Unité pastorale Saint Gilles-Clos du Doubs, Philippe Charmillot. Né à Lugnez dans une famille noble romaine – il n’était pas irlandais donc -, il aurait pris la route jusqu’en Terre Sainte puis serait revenu à La Neuveville avant de s’installer dans le vallon où se trouve aujourd’hui la ville éponyme. Pour Fromont, il y a beaucoup moins de certitudes, car on n’a quasiment pas de textes et les historiens ne se prononcent pas sur lui.» Alors, légende ou pas? «Là, on est clairement dans une légende comme on avait l’habitude d’en raconter au Moyen-Ậge, sourit Philippe Charmillot. Elles servaient à magnifier certains personnages, pour accentuer leur rayonnement en leur attribuant des pouvoirs surhumains.» ECH