
BONCOURT Elle a été l’un des plus gros employeurs de la région, mais pas seulement. Quand on évoque aujourd’hui la famille Burrus, deux mots reviennent: engagement et générosité. Des qualités que l’on (re)découvre dans La saga des Burrus – Le clan des audacieux, paru en 2018 aux Éditions Slatkine (EDIT: et réimprimé deux ans plus tard).
La gare, la piscine de Boncourt, le manège de Chevenez, mais aussi d’innombrables soutiens financiers à des clubs, associations et autres institutions… Non, décidément, les Burrus ne sont pas une famille comme les autres. Pionniers dans l’industrie, mais surtout mécènes, défenseurs de la région et politiciens engagés: pendant six générations à la tête de la fabrique de cigarettes boncourtoise, ils ont activement participé à l’essor de l’Ajoie. C’est cette histoire que raconte Philippe Turrel dans son dernier ouvrage intitulé La saga des Burrus – Le clan des audacieux. «J’ai recueilli un grand nombre d’archives, de photographies et de témoignages d’employés à la retraite, de descendants des Burrus ou d’anciens élus», souligne le sociologue et biographe français.
Le catholicisme social
La saga commence en 1820 en Alsace. Alors que les guerres napoléoniennes appauvrissent la France, Martin Burrus, qui n’est alors qu’un petit producteur, décide de rejoindre la Suisse où le marché du tabac est encore libre. C’est son fils, François-Joseph, qui lancera vraiment la manufacture de cigarettes de Boncourt à laquelle il donnera d’ailleurs son nom (FJ Burrus). Lui succèdera l’un de ses fils, François, qui sera le premier de la famille à se lancer en politique. Élu au Grand Conseil bernois puis à la mairie de Boncourt, il se battra sans relâche pour que le village ait sa gare, élément essentiel pour l’essor économique de la région.
Viennent ensuite Albert et son cousin Henry. «Très croyants, ils développent ce qu’on appelle le catholicisme social. Dans leur vision du monde, il faut rapprocher les patrons des ouvriers et procéder à la redistribution des richesses, relate Philippe Turrel. Ils créent les premières allocations familiales de Suisse – et les deuxièmes d’Europe après Michelin! Ces valeurs humanistes seront ensuite transmises à leurs enfants et perdureront jusqu’à nos jours.» Des valeurs qui leur feront accomplir de grandes choses, notamment durant la Seconde Guerre mondiale. Alors que les troupes allemandes occupent la France, que les bombes tombent sur la région et que les Américains s’apprêtent à débarquer, des milliers de petits Français se retrouvent en danger. Avec l’aide de la Croix-Rouge, Albert et sa famille décident d’accueillir pas moins de… 15’000 enfants dans leur maison (l’actuelle mairie de Boncourt) avant de les rediriger vers des centres de la Croix-Rouge pour attendre la fin du conflit.
Jusqu’en 2018
Et vous le savez, l’histoire de n’arrête pas là. Suivront encore Léon, Gérard puis Charles Burrus qui, après avoir fait de la manufacture boncourtoise un fleuron de l’industrie du tabac, la revendra au groupe hollandais Rothmans International en 1996, non sans négocier pour que l’outil industriel reste en Ajoie. «Je travaillais depuis près de vingt ans sur la branche française des Burrus, mais je ne m’attendais pas à trouver une telle histoire du côté suisse, admet Philippe Turrel. C’est une famille de bâtisseurs mais aussi de bienfaiteurs, avec une tradition de mécénat et de philanthropie qui perdure. L’an dernier encore (en 2018, ndlr), la famille a fait don du domaine de Guilé situé sur les hauts de Boncourt à la Fondation Les Castors. C’est un geste très fort!»
Élise Choulat
Article paru dans notre édition abonnés n° 479 du 10 janvier 2019