PORRENTRUY Des jours meilleurs, le troisième roman de Marie Houriet, vient de sortir de presse. L’auteure, qui vit à Porrentruy depuis treize ans, y explore la relation entre la génération de mai 68 et la suivante sur fond de crise des subprimes. Rencontre avec une romancière en prise avec son temps et que l’humain fascine.
La porte s’ouvre sur un visage mince et souriant. Vêtue d’une salopette à fines rayures et d’un gilet – il a gelé ce matin, l’été indien serait-il terminé? –, Marie Houriet nous entraîne dans la cuisine. Nous y serons au calme, promet-elle, et puis elle «aime bien les cuisines». La sienne est agréable d’ailleurs, avec ses grandes fenêtres ourlées de feuillage, sa table en bois et, dans un coin, son frigo américain d’un rouge éclatant.
Voilà treize ans que la famille vit dans cette maison bruntrutaine. Car malgré son patronyme jurassien bernois (son père était de Saint-Imier), Marie Houriet ne l’est pas, jurassienne. C’est à Fribourg qu’elle a grandi, et c’est ensuite à Genève qu’elle a vécu pendant vingt-cinq ans, du début de ses études jusqu’au déménagement à Porrentruy avec son conjoint ajoulot et leur fille aînée. «C’est ce qui explique que mes livres se passent à Genève, observe-t-elle. C’est plus simple pour moi, les images me viennent tout de suite à l’esprit.»
Naissance d’une romancière
Car, donc, Marie Houriet est écrivaine. «J’ai toujours écrit, se souvient-elle. Quand j’étais petite, avec ma meilleure copine on jouait à écrire des romans, mais on ne dépassait jamais le premier chapitre, ça prenait trop de temps!» Elle rit, mais le syndrome l’a poursuivie un moment: des premières histoires qu’elle a couchées sur le papier après l’adolescence, aucune n’est allée à son terme. Jusqu’à ce stage au Honduras, en 1995: «J’étais en séjour dans le pays voisin, le Guatemala. On m’avait dit d’éviter de sortir le soir – et le soir là-bas tombe tôt, vers 16 heures – alors je me suis mise à écrire.» Elle ne lâchera plus la plume, et c’est ainsi que naquit Viva Movida, son premier roman, publié en 2001 par L’Harmattan.
Jusqu’il y a huit ans, néanmoins, l’écriture n’occupe pas une place centrale dans la vie de Marie Houriet: elle travaille au Centre de contact Suisse-immigrés à Genève, un emploi qu’elle conservera après son installation à Porrentruy. Mais en 2010, la famille s’étant agrandie avec la naissance d’une seconde petite fille, «c’est devenu compliqué. J’ai arrêté et j’ai cherché quelque chose dans le Jura». Un an plus tard, faute d’avoir trouvé l’emploi convoité, elle interrompt ses recherches pour se consacrer à «une idée de roman qui [lui] trottait dans la tête». Ce sera Coup de sac, publié en 2015 par la Société jurassienne d’émulation. Depuis lors, elle partage son temps entre sa famille, l’écriture et des mandats professionnels, un équilibre qui lui convient parfaitement.
Un roman ajoulot? Peut-être jamais
Dans Des jours meilleurs, son dernier roman sorti tout récemment aux éditions de L’Aire, Marie Houriet s’intéresse à la relation entre la génération de mai 68 et celle d’après: entre son héroïne Raphaëlle, trentenaire, et son père Jean-Louis, syndicaliste et militant de toutes les causes, le fossé s’est creusé. «Ce sont des choses que j’ai connues dans ma vie professionnelle, des tensions entre des personnes qui partagent pourtant les mêmes valeurs. J’avais envie d’explorer cela.» Le récit se situe en 2008, au moment précis de la faillite de la banque Lehman Brothers et du cortège d’expulsions qui l’a suivie, «quelque chose qui m’avait totalement bouleversée». C’est pourtant dans ce chaos que Raphaëlle et Jean-Louis retisseront leurs liens.
Commencé en 2013, Des jours meilleurs est publié alors qu’une prochaine histoire s’ébauche déjà. Si «elle n’a pas encore trouvé le fil», du moins Marie Houriet entrevoit-elle le sujet: «Ce qui me titille, c’est la violence du monde, et la manière dont les gens se positionnent face à elle». Une histoire de relations entre humains, encore.
Reste la question que «tout le monde [lui] pose»: à quand un roman qui aurait Porrentruy pour décor? «Je ne sais pas s’il y en aura un, avoue-t-elle franchement. Je ne suis pas sûre de comprendre suffisamment la région pour cela, même si je m’y sens très bien. Mais quand les gens me parlent de la Braderie, par exemple, je vois bien que ce n’est pas la même chose pour eux que pour moi.» L’argument est imparable, mais tout de même, dommage.
Un article de Claire Jeannerat, publié le 25 octobre 2018, N°470
Séance de dédicaces le samedi 10 novembre de 10h à midi à la libraire Page d’encre à Delémont; lecture et dédicaces le samedi 8 décembre à 11h à l’Espace Renfer à Porrentruy