Quelle place pour le loup dans le Jura?

Le loup est une espèce indigène en Suisse. © ATC Future Medias
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Objet d’inquiétudes légitimes ou de fantasmes populaires, le loup cristallise les opinions. Alors que Michel Darbellay, membre de la direction de l’Union suisse des paysans alerte sur la menace qu’il représente, Marie-Anne Etter, secrétaire régionale du WWF Jura, le défend coûte que coûte.

Il faut savoir que le loup est une espèce indigène en Suisse, où il était présent jusqu’au 19e siècle. Limité par la surexploitation des forêts et les coupes rases qui ont endommagé le domaine forestier suisse jusqu’à la loi de 1876, le loup avait alors disparu de notre territoire, faute d’habitat. Petit à petit, la nature s’est régénérée et il est réapparu en 1995 en Valais. En 2006, la Convention de Berne a maintenu l’animal sur la liste des «espèces de faune strictement protégées».

Marie-Anne Etter, secrétaire régionale du WWF Jura, plaide pour un retour du loup, en bonne intelligence avec les éleveurs. Un peu à l’image de ce qui se passe ailleurs: «En Italie, en Espagne ou en Roumanie, le loup n’a jamais disparu. La cohabitation se passe bien, car les gens y sont habitués et sont mieux informés. Les conflits sont moindres avec le tourisme et l’agriculture. À l’inverse, ici, plusieurs générations ont vécu sans le loup, donc son retour pose problème. Le loup est pourtant chez lui, c’est une espèce indigène, mais sa présence est vécue plus difficilement

Menace réelle ou propos alarmistes?

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À cet argument, Michel Darbellay, membre de la direction de l’Union suisse des paysans (USP), répond que «quand on s’y intéresse de près, on constate que nos pays voisins ont eux aussi des problèmes de cohabitation avec le loup. Tout n’est pas résolu, le désarroi des éleveurs y est grand également.» Il reconnaît toutefois que, dans le Jura, le loup ne
représente pas un problème pour l’instant: «Le loup n’est pas encore durablement établi dans le Jura.» Mais il agite une menace potentielle pour l’avenir: «Sa présence est déjà hors de contrôle dans les régions alpines avec des populations qui augmentent de façon exponentielle: +30% par an. Que ce soit dans le Jura ou ailleurs, il faut s’attendre, sans mesure de régulation efficace, à un développement fulgurant du loup. La colonisation du territoire suisse par le loup se fait à vitesse grand V. Il faut freiner cette tendance, sinon on va au devant de problèmes insoutenables dans certaines régions de Suisse. Aujourd’hui, on a 180 loups en Suisse, 16 meutes. Aux Grisons, la pression est telle que cela pose de grands problèmes au niveau de l’agriculture et du tourisme

Des propos jugés alarmistes par Marie-Anne Etter qui réplique que «dans le Jura, on a juste observé des individus isolés, de passage. On n’a pas de traces de présence fixe, et encore moins de meutes. Si on considère l’individu pris en photo par le piège photographique et un autre génétiquement identifié, on est à deux loups.» Elle pointe la mauvaise réputation du loup, victime de stéréotypes qu’il faudrait déconstruire: «Le WWF tente de dissiper cette image négative du grand méchant loup, image qui date du Moyen- ge et qui persiste à travers les contes notamment. L’Église aussi a joué un rôle, en associant le loup à la sorcellerie

Est-ce facile, dans ces conditions, de prendre la défense de l’animal, au risque de faire figure de doux rêveurs? «Aujourd’hui, il est plus facile d’être alarmiste, mais ne serait-ce pas mieux de remettre en cause les discours anxiogènes qui sont alimentés par la peur?» Au sommet de la chaîne alimentaire, le loup n’a pas d’ennemi naturel. Marie-Anne Etter rappelle que son seul prédateur est l’homme qui le chasse… et détruit l’écosystème indispensable à sa survie.

Protéger… et réguler?

Le rôle de l’autorégulation de l’espèce est mis en avant par le WWF: «Un nombre élevé de proies favorise les prédateurs, mais si ces derniers sont plus nombreux, ils auront moins de proies, donc naturellement, un ajustement naturel va se faire», explique Marie-Anne Etter. Du côté des agriculteurs, on avance que l’autorégulation est un mécanisme théorique et que le problème survient lorsque le loup est tenté de prélever des «proies faciles», principalement des moutons et des chèvres. «Il faut dissuader le loup, par des mesures de protection. Les chiens de protection et la pose de clôtures électrifiées sont très efficaces. Le loup doit rester à l’intérieur des forêts, dans son milieu naturel», leur répond Marie-Anne Etter qui se voit opposer le coût de telles mesures, voire leur inefficacité.

«Les clôtures protègent relativement bien les troupeaux ovins et caprins, mais pas les bovins dont le comportement devient beaucoup plus craintif et même agressif lorsque le loup sévit dans une région… Or on a déploré en Suisse de nombreuses attaques contre des bovins… et même contre des chevaux!», avance Michel Darbellay. Un argument supplémentaire, selon lui, en faveur des tirs de prévention: «Notre but n’est pas d’exterminer le loup, mais il ne faut pas dépasser la ligne rouge. En parallèle aux mesures de protection, il faudra recourir aux tirs de régulation, comme cela se fait pour une autre espèce protégée, le bouquetin. Si la pression du loup devient trop forte, je crains que des éleveurs ne jettent l’éponge surtout avec de petits troupeaux comme dans le Jura. Une menace pour notre race, le brun-noir!», confie Michel Darbellay.

À l’inverse, le WWF est fermement opposé aux tirs de prévention: «Tirer sur un loup, c’est un problème sans fin, un autre prendra sa place et rien ne sera résolu, estime Marie-Anne Etter. Nous acceptons certains tirs, uniquement lorsqu’ils sont justifiés, en cas d’atteintes à la sécurité ou en cas de dégâts importants.» Tout l’enjeu, pour l’avenir, consiste à trouver un terrain d’entente, indispensable pour réconcilier les uns et les autres autour de l’épineuse question de la place du loup… Une question révélatrice de notre rapport à la nature.

Sera-t-il bientôt possible d’abattre des loups plus facilement?
Le Conseil fédéral vient de lancer une consultation sur une possible révision de l’ordonnance sur la chasse. Michel Darbellay, de l’Union suisse des paysans, attend bien davantage de la révision en cours de la Loi sur la chasse: «Il faudrait optimiser certains points pour pouvoir agir et réguler la population de loups, si des dommages conséquents sont constatés ou si un danger sur l’homme est avéré, en accord avec l’Office fédéral de l’environnement.» Pour l’heure, seuls trois gardes-faune travaillent dans le Jura. «Le jour où le loup s’établira dans le Jura, ils seront dépassés par la situation: tirer un loup demande beaucoup de présence sur le terrain!» Il estime que le canton devrait autoriser les chasseurs à épauler les gardes-faune jurassiens. Pour sa part, Marie-Anne Etter rappelle que «le loup est une espèce protégée» et estime par conséquent que «sa protection et sa régulation, donc les tirs, incombent à l’État.» La consultation est ouverte jusqu’au 23 février prochain.

Caroline Libbrecht

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