
PORRENTRUY La socialiste bruntrutaine Mathilde Crevoisier a succédé à Elisabeth Baume-Schneider au Conseil des Etats. La colistière de la nouvelle conseillère fédérale franc-montagnarde lors des élections fédérales de 2019 nous livre ses impressions suite à cette nomination, revient sur son parcours et aborde le futur.
Dans un premier temps, comment vous décririez-vous?
Mathilde Crevoisier: Je suis une femme ferme dans ses convictions, je sais où je vais. Je suis passablement au clair avec les valeurs que j’ai envie de défendre, qui sont celles de redistribution et de l’égalité des chances dans la société. Selon moi, l’État doit garantir ces notions, dans un monde où les inégalités ont plutôt tendance à se creuser. A côté de ce trait de caractère, je suis une personne qui possède une qualité d’écoute sans a priori, et cela m’apporte beaucoup. C’est essentiel en politique, et cela aide pour la recherche de consensus et de compromis. Notons enfin que je ne m’exprime pas lorsque je n’ai rien à dire, ou lorsqu’une autre personne a déjà mentionné ce que je voulais partager – ce n’est pas toujours la meilleure tactique de communication en politique, car il est bien vu de se mettre en avant. Au niveau des passions, je dois avouer qu’entre un travail exigeant, une famille à laquelle je tiens à consacrer du temps et mon activité politique, je n’ai pas eu à disposition un temps démesuré… Toutefois, j’apprécie le monde de la culture, notamment me rendre au théâtre ou au cinéma avec ma famille.
Pourquoi la politique?
Justement en raison des convictions très ancrées qui m’ont été inculquées dans mon éducation familiale. Je viens d’un milieu dans lequel la politique avait son importance: nous suivions les dossiers, débattions lorsque nous nous retrouvions. J’ai justement appris que tout le monde n’était pas logé à la même enseigne, n’avait pas les mêmes chances. J’ai grandi dans un foyer de classe moyenne: lorsque je suis née, mes parents étaient tous deux enseignants. En revanche, ils étaient issus de milieux assez modestes, se sont toujours engagés, notamment dans le bénévolat – mon père a présidé l’Association jurassienne d’accueil des migrants (AJAM). Passablement de politiciens ont vécu ce creuset, mais à un moment, nous digérons ce qu’on nous a inculqué, et nous décidons si nous désirons garder et perpétuer cette vision, ou la rejeter. Dans mon cas, cela entrait en résonance avec mes propres valeurs.
Pourquoi accepter cette nomination au Conseil des Etats?
D’une part, j’étais candidate, j’étais aussi sur la liste. La suivante est élue, cela fait partie de notre système démocratique. Deuxièmement, j’ai réalisé un bon résultat lors de cette élection, je me suis classée troisième sur huit candidats. Personnellement, je pense que lorsque nous nous engageons, il faut tenir compte de cette réalité. Selon moi, si nous nous mettons à disposition, si nous sollicitons la voix de la population, assumer au moment venu est un juste retour. Il s’agit d’une reconnaissance des votes que nous avons reçus.
Revenons sur cette élection de 2019…
Il est vrai que lorsque nous avons réalisé cette campagne, il y avait une très forte volonté de présenter des listes paritaires, il s’agissait d’une stratégie au niveau suisse portée par le Parti socialiste. Et nous pouvons voir l’importance de cette initiative aujourd’hui: si un vient-ensuite avait été élu, on compterait une femme de moins au Conseil des Etats, alors qu’il y en déjà très peu. Nous sommes 13 sur 46 sénateurs. Nous avions mené cette campagne à deux, Elisabeth Baume-Schneider a été très bienveillante à mon égard, m’a prise comme partenaire. Au niveau plus large, les quatre candidats socialistes au Conseil national et Conseil des Etats avons été unis: nous nous sommes par exemple répartis les débats. L’idée n’était pas de mettre en avant les têtes d’affiche, et que les autres fassent du remplissage. La volonté était de mettre en avant tout le monde, notamment la relève politique, des personnes plus jeunes qui seraient capables d’assurer certaines fonctions. C’est un problème auquel font face tous les partis: une carrière politique se construit sur des années. Il faut travailler activement et encourager cette relève, encore plus chez les femmes qui font souvent face à des obstacles supplémentaires par rapport aux hommes.
Votre assermentation au Conseil des Etats a eu lieu le 15 décembre. Quel est votre état d’esprit en revenant sur cette nomination?
Tout d’abord, j’ai vécu cette période, dès l’annonce de la candidature d’Elisabeth Baume-Schneider au Conseil fédéral, comme un enchaînement d’une rapidité folle. Il y aussi eu un facteur «surprise» fort. Elle a réalisé une campagne incroyable et a réuni comme elle sait le faire, mais cela restait un pari qui semblait fou. J’avais à l’esprit les conséquences que son ascension au Conseil fédéral auraient pour moi, mais il est vrai que l’annonce du 7 décembre a été un choc. Un immense horizon s’est soudainement ouvert à moi. En travaillant déjà sur Berne depuis passablement de temps, je me rendais bien compte de ce que cette élection représentait, en quoi elle allait consister. Tous ceux qui accèdent au Conseil des Etats le prennent comme un grand honneur. C’est également une grande responsabilité. Nous ressentons forcément un peu d’appréhension et en même temps, nous sommes heureux car il s’agit d’une opportunité incroyable, d’une occasion d’accéder à une réelle représentativité de la population. Car le système d’élection majoritaire au Conseil des Etats, que toute la Suisse – exceptés les cantons de Neuchâtel et du Jura – pratique, favorise un certain conservatisme dans la chambre haute, au niveau des profils, des genres, mais aussi de l’âge. On y trouve toujours une majorité d’hommes, avec des âges plus élevés, et cela se ressent sur les décisions.
Vous avez décidé de quitter votre emploi de traductrice au Secrétariat général du Département fédéral de l’intérieur, mais aussi la présidence du parti socialiste de Porrentruy. Vous avez également renoncé à votre mandant au Conseil municipal de la cité bruntrutaine. La charge de travail au Conseil des Etats vous effraie-t-elle?
Pas du tout. Je suis une personne qui fonctionne par passion et ce genre de nouveaux défis ont un réel effet de catalyseur sur moi, c’est aussi pour cette raison que j’ai dégagé tout mon temps professionnel et politique. Au Conseil des Etats, nous avons la chance de posséder passablement de commissions. Contrairement au Conseil national, il y a beaucoup de personnes, donc cela ne me fait pas peur. Toutefois, nous y trouvons un côté solennel différent. Au début, nous sommes observés, surtout lorsque nous nous pointons en tant que minorité: je suis la seule femme socialiste romande, ce qui crée un peu d’appréhension. Je n’ai pas envie de commettre d’impairs.
Est-il plus difficile de faire sa place en tant que femme en politique?
Disons que j’ai choisi le bon parti pour être une femme. Nous pouvons le voir en nous penchant sur les statistiques: les socialistes ont choisi le plus précocement de promouvoir les femmes, ce qui rend donc les choses plus aisées. Toutefois, le fait d’être en minorité peut être systématique: j’ai siégé pendant 10 ans à la Commission des finances à Porrentruy, et j’étais la seule commissaire de sexe féminin la plupart du temps. Je pense qu’en tant que femmes, nous pouvons être un peu plus observées. Mais malgré tout, l’époque est plus favorable. Actuellement, les autres partis sont obligés de s’aligner, même s’il y a des résistants. Le mouvement ne va pas s’arrêter. Il faut cependant toujours tenir sa place, affirmer que nous nous trouvons là où nous sommes pour une raison.
Finalement, qu’est-ce que cette entrée au Conseil des Etats signifie pour votre carrière?
Elle ouvre des perspectives énormes. Evidemment, je vis une entrée en campagne presque immédiate car les élections sont dans quelques mois. Il était clair que si j’acceptais ma nomination au Conseil des Etats, j’y allais pour me porter candidate en octobre, et non pour chauffer le siège en attendant. A l’heure actuelle, je vois mes perspectives dans cette chambre, même s’il faut rester réaliste et prudent: en politique, tout peut changer subitement. J’ai toutefois montré que j’étais capable d’entrer dans ce pôle du jour au lendemain, ce qui témoigne de ma flexibilité et de mon adaptation face à changement. Je pourrai compter sur ces traits encore à l’avenir.
Propos recueillis par Kathleen Brosy